janvier-février 2017

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édito

Accueillir pour échanger

Il faut écouter Michel Agier, anthropologue respecté : « [...] donner l’hospitalité, c’est établir une relation et cette relation c’est ce dont on a besoin pour aborder réellement, pour de bon, la mondialisation ». Autrement dit, il ne faut pas craindre d’ouvrir sa porte et son esprit en accueillant l’autre, l’étranger, façon aussi de comprendre ces mouvements, parfois désespérés, souvent désordonnés, qui agitent la planète.

Au rendez-vous mensuel du comité de rédaction de Place publique, les silences se font rares. Non pas que nous soyons une assemblée bavarde, mais bien plutôt irriguée par le goût de la discussion et des échanges, de la confrontation d’idées aussi parfois. Ce jour-là, le jour de ce récit, un silence respectueux a enveloppé les phrases du demandeur d’asile congolais que nous recevions: un homme dans la force de l’âge, aux mots choisis, qui a déroulé son exil depuis la République démocratique du Congo où sa vie était menacée. Le départ pour le Sénégal, la traversée du désert pour gagner le Maroc – et le travail dans un centre d’appels afin de gagner l’argent nécessaire au passage de la Méditerranée, s’il fallait une illustration de combien nous sommes dans la mondialisation… –, puis le départ vers l’Espagne, le moteur du zodiac qui rend l’âme en pleine mer, un bateau de la Croix-Rouge espagnole, etc.

Un récit semblable à celui de nombreux autres migrants, mais un récit que nous n’avons que trop peu l’occasion d’entendre, d’un bout à l’autre, de ce pays sous lequel le feu couve, la République démocratique du Congo, jusqu’à Nantes. C’est donc ce récit qui ouvre notre dossier consacré aux migrants et aux réfugiés, le récit d’une fuite et d’un espoir d’une vie meilleure, stabilisée, à l’abri des persécutions.

Pascal Brice est l’homme qui répond «
oui» ou «non» aux demandeurs d’asile puisque les décisions sont prises en son nom. Homme de gauche et diplomate de carrière, il dirige l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) depuis fin 2012. Sous sa direction, le «taux de protection» des demandeurs d’asile a augmenté, multiplié par quatre en autant d’années. Il défend une vision de l’asile qui exige «accueil et maîtrise» dans une société qui a les nerfs à fleur de peau.

Depuis plus de quinze ans, il parcourt les camps de réfugiés et observe les mobilités. Michel Agier est donc anthropologue. Il regarde et tente de comprendre pour ensuite expliquer. Il dirige actuellement un projet de recherches sur ce que l’arrivée des migrants fait aux villes, aussi bien en Europe qu’en Turquie et au Liban. Il a assisté à l’«
effacement» des migrants de Calais en trois jours, démonstration de puissance d’un État dont il souligne l’ambivalence (calculée?) et les hésitations entre compassion et exclusion. La réflexion de Michel Agier est stimulante et, poliment, il tape du poing sur la table: il n’y a pas que des déclassés sociaux à rejeter l’installation de migrants près de chez eux et à tenir des propos xénophobes à leur encontre. Cessons d’excuser ces discours de gens qui ne regardent qu’eux et refusent l’autre, l’habillant de toutes leurs craintes.

La réalité quotidienne des camps de migrants décrite par Pierre-Antoine Gelot, qui est intervenu dans plusieurs pour l’association bretonne Utopia 56, raconte la solidarité (la promesse de tonnes de pommes de terre au bout d’un message diffusé sur les réseaux sociaux!), mais aussi les violences, la détresse des femmes, la concurrence entre association… La «jungle» n’a rien à voir avec l’accueil et l’hospitalité. Ce témoignage, brut, a le mérite de montrer que l’accueil des migrants doit être organisé comme ce fut le cas à Grande-Synthe, près de de Dunkerque.

La Loire-Atlantique figure parmi les premiers départements où les mineurs isolés étrangers filent dès qu’ils ont posé un pied en France. leur nombre n’a cessé de croître, tant et si bien qu’à l’été 2015 les services du Département qui ont la charge de recueillir ces mineurs et de les protéger n’ont plus assuré leur mission. La justice administrative a condamné le Conseil départemental pour ces manquements. Depuis, Fabienne Padovani, vice-présidente aux familles et à la protection de l’enfance, a cherché à comprendre ce dysfonctionnement et à y remédier
: elle a mis en place un dispositif de familles d’accueil dans lesquelles des mineurs étrangers vivent. Nous avons ainsi rencontré une famille nantaise qui reçoit un jeune Guinéen: elle n’a pas caché les difficultés des débuts ni son bonheur de voir son «protégé» s’intégrer et avancer.

Le maire de Saint-Nazaire ne se cache pas derrière son petit doigt. La ville s’est très tôt pot positionnée pour accueillir des réfugiés avec le concours de son tissu associatif. Mais David Samzun estime que l’État n’a pas complètement joué son rôle dans ce dossier, laissent les villes se débrouiller seules, coordonnant
a minima. Heureusement, les associations caritatives et des militants de la solidarité ont su se mobiliser pour soutenir et entourer les migrants installés à Saint-Nazaire par un soir de janvier2016.

À Nantes, la maire et présidente de Nantes Métropole, Johanna Rolland, a débordé des strictes compétences municipales pour mener des actions en faveur des réfugiés
: augmentation du nombre de places au centre d’hébergement, coups de pouce aux associations, mise à disposition d’appartements auprès de l’État… Il lui a aussi fallu gérer le squat du presbytère de Doulon, dans lequel plusieurs dizaines de migrants s’entassaient depuis l’été 2014. Une longue crise que seules des négociations ont permis de résoudre à la fin de novembre dernier.

Au-delà des démarches administratives, s’il est un lieu où, pour les migrants, le besoin d’un interprète est criant, c’est bien chez le médecin. L’Association Santé migrants Loire-Atlantique y travaille depuis plus de trente ans. La répartition des langues sollicitées nous en dit aussi beaucoup sur l’état du monde et de ceux qui cherchent un ailleurs meilleur ou supposé tel.

Après le témoignage d’ouverture de ce dossier, nous avons souhaité remonter le temps et écouter ce que disaient les migrants des siècles passés ou de générations précédentes qui ont débarqué à Nantes. L’historien Alain Croix nous offre les récits d’une Bretonne, d’un Espagnol et d’un Chinois. Nguyên Thuy Huong a rencontré une de ses compatriotes vietnamiennes, une
boat people qui a quitté le Vietnam à la fin des années 1980, encore enfant. Hong Kong, Paris, puis Nantes. À l’époque, la France avait ouvert sa porte à près de 129 000 réfugiés du sud-est asiatique. À l’époque… Une autre époque.

Dernier témoignage, signé du philosophe et poète Jean-Claude Pinson, celui de Spinoza. Qui aurait pu être Nantais puisque son grand-père, fuyant le Portugal et l’Inquisition, s’est arrêté plusieurs années à Nantes.

Jean-Claude Pinson ferme notre dossier avec une réflexion sur l’hospitalité et l’identité nationale, avec des détours par Venise, Saint-Brévin et le pays des Soviets – entre autres. L’identité,
a fortiori lorsqu’elle s’adjoint le qualificatif de «nationale», est à manier avec prudence, matière inflammable! Jean-Claude Pinson se prononce pour un identité ouverte. Pas de cadenas chez lui.

Plusieurs des photos qui illustrent ce dossier ont été prises par un photographe indépendant nantais, Frédéric Girou. Il s’est rendu sur l’île de Lesbos, en Grèce, à la fin de l’année 2015 pour y saisir ces instants où les migrants, femmes, enfants, vieux, débarquent. C’était Noël. Sur la grève, un sapin avait été dressé. Composé de gilets de sauvetage.
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