juillet-août 2015

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édito
L’hôpital du 21e siècle
Au-delà d’une considérable opération d’urbanisme qui transformera le cœur de la ville, c’est l’hôpital du futur qui va se dessiner sous nos yeux.

À l’étroit dans ses murs pourtant récents, éparpillé sur plusieurs sites, mal adapté aux évolutions prévisibles de la médecine… Le Centre hospitalier universitaire de Nantes devait déménager. Le transfert devrait commencer en 2023, s’achever en 2025. L’Hôtel-Dieu et l’hôpital Nord, à Saint-Herblain, seront regoupés en un seul site, au sud de l’Île de Nantes, à l’emplacement du Marché d’intérêt national qui, lui, va franchir la Loire pour s’installer à Rezé.

Tout naturellement, ce dossier s’ouvre par une présentation du projet lauréat, mais aussi de ceux qui ont été écartés par le jury. Fin connaisseur du monde de l’urbanisme et de l’architecture, le sociologue Jean-Louis Violeau livre des clés pour comprendre le choix qui a été effectué. Nous sommes en présence d’un changement de modèle qui nous en dit long sur ce que notre société, désormais, attend de son hôpital. L’Hôtel-Dieu, conçu par Roux-Spitz, au lendemain de la dernière guerre, était un exemple de ces impressionnantes cathédrales du soin posées au milieu de la ville. Le futur CHU, lui, est pensé comme une ville à part entière avec ses rues où l’on pourra circuler et sa vue sur le fleuve. De l’autarcie à la porosité.

Philippe Sudreau, le directeur du CHU, détaille les motifs du déménagement, les atouts du nouveau site, les qualités fonctionnelles et esthétiques du projet. Mais surtout, il explique en quoi il répond aux nouvelles exigences médicales
: «Nous avons été rassurés par ce projet. […] Ce bâtiment sera modulable, adaptable, ouvert sur l’extérieur, ce qui correspond bien aux évolutions prévisibles, à la complémentarité entre médecine hospitalière et médecine de ville.» Dès aujourd’hui, souligne-t-il, «un patient sur deux quitte le CHU le soir même.»

Les mots ont leur importance. Un CHU n’est pas un simple hôpital
; il est aussi un centre universitaire. D’où l’attention extrême que porte à cette opération le président de l’université de Nantes Olivier Laboux. Autour du CHU, c’est «un quartier hospitalo-universitaire de classe européenne» qui verra le jour, annonce-t-il. De quoi consoler un peu l’université nantaise de ses déboires répétés dans sa quête des fonds d’initiatives d’excellence.

Autre entretien, avec Anne Mie Dupuydt et Marcel Smets, les deux urbanistes qui ont succédé sur l’Île de Nantes à Alexandre Chemetoff, ainsi qu’avec Jean-Luc Charles, le directeur de la Samoa, en charge de l’aménagement de l’Île. Avec la construction du Palais de justice et la transformation du site des anciens chantiers navals, l’essentiel de l’effort s’est pour l’instant porté sur les abords du bras nord de la Loire. La prochaine étape consistera à urbaniser le sud de l’Île. Cela passe par un gigantesque jeu de meccano à l’échelle de l’agglomération
: d’abord, le déménagement du Marché d’intérêt national (sans doute en 2018), puis le début des travaux du CHU, suivi du transfert vers l’est de la ville des voies ferrées qui occupent aujourd’hui le centre de l’Île. Ensuite seulement, dans dix ans peut-être, pourra-t-on aménager un «Parc métropolitain» du CHU jusqu’à la pointe ouest de l’Île. Le cœur des villes bat à un rythme plus lent que celui des mortels.

Laurent Devisme, professeur de sciences sociales à l’École d’architecture de Nantes, clôt cette première partie du dossier par le récit de la décision du transfert le CHU sur l’Île de Nantes. Elle a acquis une forme d’évidence, mais elle n’a été rendue possible que par le départ annoncé du Marché d’intérêt national. Laurent Devisme nous fait comprendre le mécanisme complexe d’un choix qui s’est joué à trois niveaux: entre le local et le national, entre les villes qui composent l’agglomération nantaise, au sein même de l’hôpital entre pouvoir managérial et pouvoir médical.

Après cet examen du projet sous tous ses aspects, nous élargissons la focale pour porter un regard sur le contexte où il se joue.

Benoît Ferrandon, chef de service à la direction prospective du Département, situe le CHU dans la géographie et l’économie de la santé en Loire-Atlantique, un secteur qui pèse 48
000 emplois, dont près de 12000 pour le seul CHU, le plus gros employeur du département. Cela dit, son rayonnement est plus départemental que régional et il se situe dans la moyenne des CHU français par son budget, ses capacités d’accueil, son nombre d’étudiants.

De son côté, l’historien Alain Croix nous rafraîchit la mémoire. Le prochain transfert
? Ce ne sera après tout que le dixième ou le onzième: «l’histoire permet de relativiser ce qui est vécu comme un bouleversement.» Quant aux fonctions mêmes de l’hôpital, elles ont bien changé au cours des siècles: avant de soigner les malades, il s’est agi d’accueillir les miséreux, d’enfermer les pauvres, d’herberger les enfants abandonnés…

Que faire des bâtiments existants
? Cette question, encore peu débattue, pourrait bien être au cœur des grands choix urbanistiques des années à venir.

Anne Pétillot est une spécialiste de la reconversion des anciens hôpitaux, un sujet auquel elle a consacré sa thèse de géographie et d’aménagement. Elle évoque les solutions trouvées à Paris, Lyon, Montpellier ou Saint-Étienne. Mais elle insiste sur la particularité nantaise
: l’ampleur des surfaces concernées et la date récente de construction de l’Hôtel-Dieu et de l’hôpital Laennec. On ne jette pas le même regard patrimonial sur des édifices vieux de quelques dizaines d’années que sur des bâtiments remontant au 17e siècle.

Des étudiants de l’École d’architecture ont commencé à phosphorer sur de possibles réutilisations de l’Hôtel-Dieu. Dessins et images de synthèse à l’appui, nous donnons un aperçu de leurs projets.

Enfin, Alexandre Granger, de l’Agence pour le développement durable de la région nazairienne, revient sur le transfert de l’hôpital de Saint-Nazaire, construit au début des années 1960. Depuis, une Cité sanitaire, regroupant hôpital public et cliniques privées, est sortie de terre. Alexandre Granger y voit le cas d’école d’un urbanisme négocié.

Des murs, des chiffres, des sites… Tout cela compte énormément bien sûr, mais il ne faudrait pas l’oublier
: un hôpital, c’est d’abord les hommes et les femmes qui y sont soignés, qui y travaillent.

Nous refermons donc ce dossier avec les photos, si justes et si sensibles, prises par Sylvie Legoupi et qui feront l’objet d’une exposition à partir de la rentrée. Elle y donne à voir les «
invisibles» du CHU, ceux sans qui la machine ne tournerait pas. Les autres ont été prises lors d’un reportage au long cours au service d’hématologie.
Sans pathos, elles montrent ce que veut dire l’attention à l’autre.