édito
Un chantier à reprendre Où va la politique de la ville dans une période d’argent rare et de difficultés sociales accrues ? Et si l’on commençait par clarifier ses objectifs ? Politique de la ville… L’expression a quelque chose d’étonnant quand on se rappelle l’origine grecque du mot « politique » : ce qui concerne la cité. La politique de la ville serait donc une politique au second degré ? En réalité, mieux vaut voir dans ce terme maladroit un symptôme, celui de notre incapacité à nommer, et donc à penser correctement, les maux dont souffrent certains de nos quartiers, qu’on hésite eux aussi à désigner : « difficiles », « sensibles », « prioritaires », « fragiles », « populaires »… C’est bien le moment de se rappeler la phrase de Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Tout cela suggère que la politique de la ville ne se heurte pas seulement à des difficultés de financement dans une période où l’argent public manque. Ni à des défauts de gouvernance, comme on dit désormais, même si une simplification des dispositifs ne peut qu’être bénéfique. C’est d’abord d’une clarification conceptuelle que la politique de la ville a besoin. Quels sont ses objectifs ? Réduire l’inégalité ? Accueillir le moins mal possible de nouveaux arrivants sur le sol français ? Aider les habitants à aller vivre ailleurs ? Favoriser leur vie sur place ? Doit-elle s’occuper des gens ou des lieux ? Voici quelques-unes des questions traitées dans ce dossier qui obéit à une triple actualité. D’abord, les 30 ans de l’association Ville et Banlieue, créée dans l’agglomération nantaise, et qui seront célébrés en septembre à Rezé, à l’occasion d’un colloque auquel s’associe Place Publique. Ensuite, la réforme de la politique de la ville sur laquelle s’est penché le conseil des ministres début août et dont on connaît les grandes lignes : une concentration des aides sur 1 200 quartiers ; la fin des zones urbaines sensibles ; la pauvreté des habitants comme critère principal pour définir un quartier prioritaire. Enfin, les élections municipales de mars 2014 où une abstention importante dans les quartiers populaires pourrait avoir de fâcheuses conséquences pour les municipalités de gauche. Ce dossier s’ouvre sur un état des lieux. D’abord un entretien avec Jacques Floch, l’ancien député maire de Rezé, qui fut aussi le premier président de Ville et Banlieue, et l’architecte-urbaniste Michel Cantal-Dupart. Voilà qui permet de mieux comprendre les enjeux d’un combat : reconnaître aux banlieues la même dignité qu’aux villes-centres. Le géographe Jean Renard retrace ensuite l’histoire des banlieues nantaises et nazairiennes : comment des grands ensembles ont poussé dans des prairies, comment des bourgs se sont changés en villes le temps d’une ou deux générations. Cartes et graphiques à l’appui, l’économiste Hervé Guéry dresse ce sombre constat : à Nantes, une ville dynamique et plutôt en bonne santé, les inégalités se creusent entre les quartiers sensibles et les autres. Malgré la politique de la ville… Clotilde Ligeard décrit en détail une expérience intéressante qui dure depuis vingt ans : des journaux de quartier, réalisés par et pour les habitants. Le journaliste Philippe Dossal nous conduit à Orvault, cet étrange dégradé urbain qui va de la campagne à un quartier prioritaire en passant par un bourg encore rural et des lotissements cossus. Une manière de toucher du doigt la variété et, peut-être, la fragilité de notre tissu urbain. Place ensuite au débat avec quelques-uns des meilleurs experts de la question, qui participeront au colloque de Ville et Banlieue à Rezé. Une conversation entre l’économiste Laurent Davezies et le politiste Renaud Epstein aboutit à un constat partagé : « La politique de la ville est en souffrance ! ». Où il est question de mobilité, de mixité sociale – une « notion floue » – et des limites de la rénovation urbaine : il ne suffit pas de dynamiter des barres d’immeubles et de reconstruire ; rompons avec « l’illusion de dissoudre la question sociale dans la question urbaine. » Sociologue et urbaniste, Marie-Hélène Bacqué a remis en juillet un rapport à François Lamy, le ministre délégué à la Ville. Elle en présente ici l’esprit : la politique de la ville ne peut plus se faire sans les habitants. Le sociologue Éric Charmes fait un pas de côté en nous conviant à nous intéresser au périurbain. C’est autre chose que la ville, autre chose que la banlieue, mais les périurbains, eux aussi, réclament le droit à la ville, un peu comme le faisaient, il y a trente ans, pour les banlieusards, les promoteurs de Ville et Banlieue. Gilles Retière, maire de Rezé et président de Nantes Métropole, parle au nom des responsables des principales Communautés urbaines : désormais, « c’est aux métropoles de mener la politique de la ville ! ». À elle seule, cette revendication permet de mesurer le chemin parcouru depuis trente ans : les grandes villes ne réclament pas tant des moyens nouveaux – même si… – que des responsabilités nouvelles. Elles se jugent mieux outillées que l’État pour les assumer. Enfin, nous avons choisi de clore ce dossier de manière paradoxale. En sortant résolument de nos quartiers et même du cadre français. En navigant entre Houston, Sao Paulo, Singapour, Pudong et Kinshasa. En parcourant les friches et les favelas, les zones commerciales et les centres aux allures de musées. Nous publions en effet les bonnes feuilles d’un livre d’Olivier Mongin, à paraître en septembre : La ville des flux. L’envers et l’endroit de la mondialisation urbaine. Où l’on vérifie qu’il revient bien aux politiques de prendre les questions urbaines à bras le corps. L’association Ville et Banlieue fête son anniversaire à Rezé en septembre. À cette occasion, un colloque organisé en collaboration avec Place Publique fera le point sur trente ans de politique de la ville. Le ministre délégué à la ville François Lamy y est attendu. Quelques-uns des meilleurs spécialistes de la question seront présents : Marie-Hélène Bacqué, Renaud Epstein, Laurent Davezies, Hervé Guéry, Céline Braconnier, Goulven Boudic, Éric Charmes… Programme détaillé sur le site de Place Publique : www.revue-placepublique.fr jeudi 19 septembre, de 14 heures à 18 heures, à la Halle de la Trocardière, à Rezé. Entrée libre. |