mai - juin 2013

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édito
Le parent pauvre de la culture ?
Le festival Atlantide (du 31 mai au 2 juin au Lieu Unique et à la Cité des congrès) est l’occasion de s’interroger sur la santé du livre à Nantes/Saint-Nazaire : médiathèques et librairies, festivals et éditeurs, écrivains et lecteurs…
L'Atlantide, on le sait, est cette vaste île engloutie dont Platon parle dans deux de ses Dialogues. Et qui, depuis, n’a cessé de titiller les imaginations : une simple image employée par le philosophe ? Ou bien l’écho d’une catastrophe ancestrale presque effacée des mémoires ? De Bacon à Tolkien et à Pierre Benoit en passant par Jules Verne, le thème court dans bien des œuvres.

Le nom n’est pas si mal choisi pour le festival littéraire qui verra le jour, ce printemps, à Nantes. Il peut d’abord faire penser à la situation géographique – atlantique – de la ville. Il est aussi une commode bannière pour évoquer les mythes, qui doivent être la « spécialité », le « créneau » de ce festival. Enfin, on peut se demander si ce n’est pas la situation du livre et de la lecture qui est ainsi désignée : et si nos bibliothèques étaient guettées par la submersion numérique ? Si les digues du savoir étaient en train de craquer ? Si les fervents du livre étaient en passe de rejoindre le peuple obscur des abysses ?

Toujours était-il que l’occasion était belle pour consacrer un dossier au livre à Nantes/Saint-Nazaire en se demandant s’il n’est pas le parent pauvre de la culture. Thierry Guidet brosse le tableau : il manque aujourd’hui un événement marquant, comparable à la Folle Journée ou à Estuaire, même si sont loin d’être négligeables les efforts menés en matière de lecture publique ou l’expérience originale de Saint-Nazaire qui invite chez elle des écrivains du monde entier. Atlantide sera-t-il à la hauteur des attentes, alors que d’autres festivals du livre sont nés et sont morts à Nantes ?

Bernard Martin, éditeur et organisateur de manifestations littéraires, étend l’enquête à l’échelle nationale. Il présente quelques-uns des festivals les plus notables et s’interroge sur les clefs du succès. Une charte élaborée en Rhône-Alpes, une région pilote, les résume en assignant une quadruple responsabilité aux initiateurs de manifestations : artistique, professionnelle, territoriale, sociale.

L’historien Alain Croix attire l’attention sur le fait que Nantes n’a jamais été une ville du livre. Privée de Parlement et d’université sous l’Ancien Régime, elle continue à en payer le prix aujourd’hui en dépit d’initiatives intéressantes dans le domaine de l’édition.

Le dossier s’attarde ensuite sur l’importance de la lecture publique. Jean-Louis Violeau, sociologue de l’architecture, nous convie à une promenade aux pays des médiathèques de l’agglomération nantaise. Les Trente Glorieuses ont vu se dresser les églises neuves dans les Grands ensembles ; aujourd’hui, les médiathèques poussent comme des champignons dans les écoquartiers… Audrey Daniel livre la synthèse d’une étude menée par la Ville auprès de 4 000 Nantais : un sur deux aime lire ; les médiathèques sont les équipements culturels les plus fréquentés après les cinémas ; on s’y rend pour lire, bien sûr, mais aussi pour rencontrer du monde. Quant à Jean-François Tallio, l’adjoint à la Culture de Saint-Herblain, il tire les enseignements de l’expérience de gratuité menée par sa ville et dont il aimerait qu’elle s’élargisse.

Les librairies à présent. Un professionnel respecté, Alain Girard-Daudon, nous guide dans un paysage contrasté. Nantes est une ville réputée pour sa densité de librairies indépendantes en dépit de la puissance de la grande distribution, et les libraires historiques n’ont pas de mal à se trouver des successeurs passionnés. Mais les temps sont durs, les marges faibles, les salaires chiches et c’est parfois le drame comme à Saint-Nazaire, avec la fermeture de La Voix au chapitre, la seule librairie indépendante d’une ville de 70 000 habitants…

De Académie – l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire – à Vie littéraire en passant par Bande dessinée, Écrivains patrimoniaux, Maison de la poésie ou Utopiales, un abécédaire donne une idée assez complète – même si on y décèlera forcément des manques – de la vie du livre, sous toutes ses formes à Nantes/Saint-Nazaire.

Pour finir, le dossier regarde au-delà de notre pré carré. Franck Renaud a saisi sur le vif le romancier Patrick Deville de passage à Hanoi pour présenter à des lycéens son Peste & Choléra dont l’action se déroule en partie en Indochine. L’ex-professeur de philo du lycée Aristide-Briand de Saint-Nazaire nous donne des leçons de lecture et de vie : « Il faut avoir le courage d’affronter les œuvres qu’on ne comprend pas. » Et encore : « Nous devons relire les classiques tous les dix ans. Le livre qu’on découvre alors n’est plus le même, car soi-même, on a changé. »

De tels préceptes, ce n’est pas Alberto Manguel qui en ferait fi. Praticien boulimique, historien érudit, théoricien subtil de la lecture, celui qui croisa, sur la fin de sa vie, Jorge Luis Borges est le directeur artistique du festival Atlantide. L’entretien qu’il nous a accordé porte sur les menaces qui pèsent sur la lecture. Manguel ne les méconnaît pas : « Il est de plus en plus difficile de se trouver des abris, propices à la solitude, à la réflexion, au silence sans lesquels la lecture n’est pas possible. »
Mais l’homme appartient à une espèce liseuse, conteuse, rêveuse qui ne cesse de considérer le monde comme un réseau de signes, comme un grand livre qu’il faut déchiffrer et interpréter. « La lecture est notre manière d’être au monde, comme la chasse et la consommation des proies est la manière de vivre des grands fauves. »
Au fait, et Atlantide dans tout cela ? Eh bien Manguel répond en trois temps. Un, la lecture est une expérience intime. Deux, il n’est pas étonnant que, le livre refermé, on souhaite partager son expérience avec d’autres lecteurs. Trois, quoi de plus naturel ensuite de chercher à rencontrer l’écrivain, le magicien, le soucier de l’émotion ? Pas mal vu. On vérifiera, du 31 mai au 2 juin.