édito
Vous avez dit égalité ? Comme l’Affaire Dreyfus jadis – et toutes proportions gardées – l’affaire de l’aéroport nous déchire. Pas étonnant qu’elle coure comme un fil rouge au long de ce numéro, qu’il s’agisse de Nantes capitale verte, de Ma ville demain ou des Rencontres nationales des Conseils de développement. Depuis des années, on s’y était habitué. Quand les gazettes parlaient de Nantes, c’était pour lui tresser des couronnes de laurier. Nantes, la plus ceci, la plus cela… La ville où il fait bon vivre, où la culture pétille, où se pressent les meilleurs architectes, où l’on assume crânement son passé négrier… Alors, Nantes capitale verte de l’Europe, pour les Nantais, c’était une sorte d’évidence : notre tradition botanique et le fleuve retrouvé, nos rivières dans la ville et le Jardin des plantes, notre tram et nos toits photovoltaïques, nos Floralies et notre si novateur Service des espaces verts… Et puis patatras, Nantes aujourd’hui se résume à Notre-Dame-des-Landes, à la guérilla du bocage. Chaque réunion amicale menace de tourner au repas de famille changé en rixe qu’avait croqué Caran d’Ache parce que « ils en ont parlé ». De quoi ? De l’affaire Dreyfus hier ; de l’aéroport aujourd’hui. Si bien que le débat, la querelle, la bataille – on peine à choisir le mot, et le pire est toujours possible – court comme un fil rouge tout au long de ce numéro. Ils en ont parlé. Ils vont en reparler. Dès l’ouverture du dossier Capitale verte, le sénateur écologiste Ronan Dantec ne cache pas son inquiétude sur les menaces qui pèsent sur l’Année verte nantaise. Et pourtant, rappelle-t-il, la politique environnementale qui vaut à Nantes sa distinction européenne a bien été « co-produite » par l’attelage rose-vert qui gouverne la ville depuis 1989, et plus encore depuis 2001. Cette politique environnementale, rappelle le sociologue Paul Cloutour, n’est d’ailleurs qu’un des registres du service public « à la nantaise » : vision à long terme, recherche du consensus – eh oui. Dans un texte très informé, le germaniste Jean-Paul Barbe tire quelques « leçons de Hambourg », qui fut Capitale verte en 2011. Parmi elles, comment ne pas rater son Année verte quand l’opinion est très divisée par deux projets environnementaux : le creusement d’un chenal dans l’Elbe ; la construction d’une centrale à charbon. Tiens, tiens… Universitaire à Strasbourg, Vincent Béal a consacré sa thèse de sociologie aux politiques de développement durable conduites par plusieurs villes européennes, dont Nantes. Il montre pourquoi la préoccupation environnementale a pris de l’importance à l’agenda des élus urbains, quelle que soit leur couleur politique, comment elle est devenue aussi un élément de «distinction» dans la bataille d’image que se livrent les villes. Après ce volet politique du dossier, place aux paysages qui comptent tout de même un peu dans le bonheur d’habiter quelque part. Yves-Marie Allain, à la fois chercheur et praticien de premier ordre, nous explique la genèse de la notion de paysage urbain. Dans une conclusion que pourraient méditer les tenants de la Deep Ecology, il rappelle que le paysage ne se résume pas à la nature, qu’il est dessiné par et pour les hommes, a fortiori en ville. Géographe et maraîcher – bio ! – Olivier Rialland retrace des siècles de tradition verte nantaise, depuis l’importation de végétaux exotiques par les coureurs des mers jusqu’à l’utilisation contemporaine du végétal dans l’urbanisme. Enfin, en images, la journaliste Claire Lelong montre comment le Service des espaces verts crée depuis des années des parcs qui vous transportent au Japon ou en Corée, dans l’Esterel ou dans la campagne anglaise, dans les marais de Floride ou sur les berges d’un torrent alpin… L’art des jardins comme ouverture au monde. Commentaire libre et subjectif de l’actualité, le bloc-notes pèse ce que vaut la comparaison souvent faite entre Notre-Dame-des-Landes et le Larzac. Alors qu’on a vu beaucoup de gwenn ha du dans les manifestations des anti-aéroport, l’élu autonomiste Michel François, responsable de l’Union démocratique bretonne, fait entendre un argumentaire original et dissonant : et si le transfert de l’aéroport était la meilleure manière d’équilibrer le centralisme parisien ? L’entretien qui clôt ce numéro, avec le socialiste Gilles Retière, le président de Nantes Métropole, fait écho à celui qui l’ouvre, avec le sénateur Vert Ronan Dantec. Ce n’est pas tant de l’Année verte qu’il s’agit, mais de la démarche prospective Ma ville demain qui a mobilisé les Nantais depuis deux ans. Le débat sur le transfert de l’aéroport porte aussi sur les visions qu’on se fait de la place de la ville dans le monde au cours des décennies qui viennent. Forcément, la dispute impacte la prospective. Et Gilles Retière, en pilote avisé, s’efforce de faire atterrir sans casse l’avion Ma ville demain en pleine zone de turbulences. Les Rencontres nationales des Conseils de développement se tiendront à Nantes en février. Un événement prévu de longue date, sans le moindre rapport avec les cabanes de Notre-Dame-des-Landes. Et pourtant… Non seulement des membres du Conseil de développement de Nantes Métropole ont émis – et c’est normal – des avis discordants sur le dossier, mais voilà que quatre responsables de Conseils situés un peu partout en France signent un texte titré « Bienvenue aux OVNI ! ». Non, il ne porte pas sur les procédures et les lieux d’atterrissage des soucoupes volantes. Il montre comment les Conseils de développement restent des objets bien mal identifiés dans le paysage politique français. Rien d’étonnant puisqu’ils sont porteurs d’une logique de démocratie participative, encore inhabituelle pour nos institutions. Notre-Dame-des-Landes pourrait constituer un excellent cas d’école pour les travaux de ces Rencontres nationales : comment conjuguer le temps des procédures et celui des citoyens ? Comment articuler la légitimité élective et l’interpellation de l’opinion ? Peut-on encore conduire des projets stratégiques en une époque submergée par l’émotion ? Comment combiner recours aux experts et pari sur l’avenir ? Ces quatre présidents de Conseils de développement en appellent à « une éthique du débat ». On peut juste douter que ce soit encore de saison. |