Printemps 2019

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édito
Une certaine urgence

La planète va mal, menacée par le réchauffement climatique. La biodiversité va mal, des centaines de milliers d’espèces seraient menacées d’extinction selon le rapport d’experts de l’Onu. Entraînées par les mobilisations répétées et massives de la jeunesse pour le climat des derniers mois, les consciences se réveillent. L’urgence écologique s’installe dans les esprits et la nécessité d’une transition – énergétique, mais pas seulement – s’impose, débordant des seuls cercles des militants écologistes. Face à cette urgence à agir, la métropole Nantes/Saint-Nazaire et l’estuaire de la Loire offrent un paysage singulier : ils sont une des principales portes d’entrée des énergies carbonées en France. Dès lors, comment changer de « modèle » et passer aux actes ?

Le philosophe Dominique Bourg, spécialiste de l’environnement, est une des voix de l’écologie. Pour apporter une réponse politique à l’urgence, il s’est d’ailleurs engagé aux récentes élections européennes, figurant en tête de la liste Urgence écologie. Il estime que les décisions prises à ce jour en faveur de la planète demeurent très insuffisantes. De fait, Dominique Bourg appelle à des mesures radicales et à changer un système à bout de souffle «qui reste sur le référentiel des Trente glorieuses»: pour l’universitaire, il est plus que jamais nécessaire d’engager une politique de décroissance, même s’il sait «que ce n’est pas simple et politiquement délicat».
Plus des deux tiers des trafics du port de Nantes/Saint-Nazaire reposent sur les énergies carbonées
: pétrole brut et raffiné, gaz naturel liquéfié, charbon… Ils sont destinés à la raffinerie de Donges, au terminal méthanier de Montoir-de-Bretagne et à la centrale thermique de Cordemais et représentent environ 14% des besoins de la France en matière d’alimentation énergétique. Comment l’estuaire et son port peuvent-ils s’engager dans la transition écologique? L’agence d’urbanisme de la région de Saint-Nazaire et l’École nationale supérieure de paysage de Versailles/Marseille ont réfléchi aux paysages qu’offrirait un estuaire post-carbone, s’adaptant à la montée des eaux, et en proposent une lecture. Ils proposent ainsi, afin de fournir en biomasse la centrale de Cordemais, un réseau de fermes inspirées des «fermes ornées» du 17e siècle qui pourraient proposer des ressources de biomasse locales: bois, bocage, algues, espèces invasives… Utopie? «Les signaux d’une transition vers la sobriété carbone sont perceptibles», écrit Claude Maillère, le directeur du développement et de l’innovation de l’agence d’urbanisme.
L’industrialisation de l’estuaire relève d’une longue histoire de plus de deux siècles
: le géographe Jacques Guillaume raconte comment, depuis la fonderie et la forerie de canons d’Indret, l’industrie et le port se sont développés sur les rives de la Loire entre Nantes et Saint-Nazaire. Importation de charbon au 19e siècle, installation de raffineries de pétrole dans les années 1920, puis terminal gazier dans les années soixante-dix. Cette expansion industrielle, impulsée par les pouvoirs publics, a abouti à un «conglomérat» aux filières guère reliées entre elles et plus que jamais internationalisées, donc à la merci de stratégies difficilement lisibles localement.
Ils ont marché au plus près des rives nord et sud de l’estuaire
: Guy-Pierre Chomette, auteur, et Franck Tomps, photographe, ont sillonné les prairies humides et arpenté les quais du port. De ce lent cheminement, ils ont rapporté un texte et des photographies de paysages et de celles et ceux qui vivent et travaillent en bord de Loire: leur livre, Des Rives. Voyage dans l’estuaire de la Loire (éditions 303, 2019) s’attache à raconter leur immersion dans des paysages qui fluctuent autant que les eaux du fleuve. Nous en publions un extrait, alors qu’ils s’approchent de la raffinerie de Donges, illustré de quelques-unes des photographies de Franck Tomps – qui est également l’auteur de l’image de la couverture de ce numéro, prise dans une prairie humide d’Indre.
Économiste, militant de longue date de l’écologie et d’une «
vie simple», Arnaud du Crest plaide pour augmenter (un peu) la durée du temps de travail, professionnel comme domestique, pour partiellement substituer l’homme – qui a des capacités énergétiques – aux machines fonctionnant souvent grâce aux hydrocarbures. Outre le vivier d’emplois ainsi créés, qui ne seraient pas des «petits boulots», cela permettrait d’engager un cycle de consommation plus vertueux en, par exemple, faisant réparer plutôt que de racheter.
La centrale thermique EDF de Cordemais est à un tournant de son existence alors qu’elle est entrée en service voilà bientôt cinquante ans
: si le gouvernement entend fermer les quatre dernières centrales au charbon de France d’ici à 2022, celle de Cordemais a obtenu un sursis. Parce que le réseau électrique français a encore besoin d’elle durant quelques années pour répondre aux pics de consommation de la période hivernale et parce qu’elle est engagée dans un processus de transformation en mettant au point un combustible tiré de bois de récupération et susceptible de remplacer le charbon. Lionel Olivier, qui dirige les centrales de Cordemais et duHavre – cette dernière étant appelée à fermer dès 2021 – précise les enjeux de cette conversion à la biomasse.
Comment décarboner un estuaire dont le port est dépendant du trafic d’énergies carbonées dans une région où l’agriculture consomme encore beaucoup d’engrais chimiques
? Philippe Audic, qui est ingénieur et préside le Conseil de développement de Nantes Métropole – il est également président de l’association Mémoire et débats éditrice Place publique Nantes/Saint-Nazaire – estime qu’il faudra du temps, beaucoup de temps. D’autant que le département de Loire-Atlantique et en particulier le métropole nantaise et l’agglomération nazairienne gagnent chaque année des habitants qui sont aussi des consommateurs d’énergie… Les énergies renouvelables ne pourraient-elles pas changer le donne et «verdir» cet estuaire? «Le vent, le soleil et la mer ne suffiront pas», estime Philippe Audic. De quoi nourrir la réflexion et le débat pour cet été.