janvier-février 2015

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édito

La Loire et nous

À l’occasion du Grand débat sur la place de la Loire à Nantes, nous revenons sur l’histoire indissociable du fleuve et de la ville. Nous cernons les enjeux politiques et urbanistiques de la discussion en cours.

ille-gué, ville-pont, port de fond d’estuaire, Nantes est fille de la Loire. Et c’est bien l’estuaire du plus grand fleuve de France qui constitue le trait d’union entre Nantes et Saint-Nazaire, cet avant-port devenu rapidement une vraie ville.
C’est dire que la Loire s’inscrit vraiment au cœur de la métropole. Et que le Grand débat lancé sur la place du fleuve dans l’agglomération nantaise ne pouvait nous laisser indifférents.

Le dossier que nous consacrons au sujet tient en deux volets
: l’histoire, mais aussi des exemples glanés ailleurs; le débat lui-même, la manière innovante dont il s’organise et ses principaux enjeux.

Les historiens Alain Croix et Didier Guyvarc’h nous le rappellent d’emblée
: nos rapports avec la Loire, et les questions que nous nous posons aujourd’hui, doivent être replacés dans le temps long, dans le temps très long. Ainsi, la Loire fut longtemps subie par ses riverains avec ses crues et les raids de Vikings qui remontaient son cours. Le fleuve et son estuaire sont ensuite devenus le vecteur du commerce atlantique qui a tant enrichi Nantes avant de se changer en espace de développement industriel mais aussi en enjeu de la concurrence avec Saint-Nazaire. Aujourd’hui, sans doute est-on en train de passer du fleuve-travail au fleuve-évasion.

Bref, la géographie propose, mais l’histoire dispose. Hier, aujourd’hui, demain, la Loire a été, est et sera ce que les hommes veulent bien en faire. Le fleuve est aussi une œuvre humaine.

Réduisant la focale à la question des ponts, André Péron ne dit pas autre chose. Ils offrent un témoignage de la façon dont les Nantais, au cours de l’histoire, ont habité le site. Aujourd’hui, tout choix de franchissement est une manière de répondre à la question des usages possibles et souhaitables de la Loire.

Cette question, Nantes n’est évidemment pas la seule à se la poser. L’historien lyonnais Pierre Gras dresse un panorame européen des rapports entre les villes et leurs cours d’eau. De Londres à Hambourg en passant par Copenhague, après une période de mise à l’écart, les temps sont à la redécouverte et à la mise en valeur, non sans contradictions entre le tourisme et le travail, la mémoire et le développement. Plus près de nous, Angers offre un «
grand paysage liquide» tout à fait remarquable qu’Emmanuelle Quiniou, la directrice de l’Agence d’urbanisme, nous invite à parcourir. La méthode d’investigation choisie par nos voisins de l’amont pourrait bien inspirer les organisateurs du Grand débat.

Bien entendu, ce n’est pas la première fois que
Place publique s’intéresse à la Loire. Laurent Devisme revient sur les principaux débats mis en scène dans cette revue autour de l’omniprésence de l’eau à Nantes, de la redécouverte de l’estuaire, du rôle du port… À vos collections!

Et Jean-Claude Pinson, philosophe et poète, clôt ce premier volet de notre dossier par une approche intime et sensible du rapport à la Loire. Il nous invite à ne pas perdre de vue l’essentiel
: «Quand la ville est fluviale, le droit à la ville doit inclure un droit essentiel et imprescriptible au fleuve», car «plantes humaines, animaux humains, nous avons nous aussi besoin du contact des éléments, nous avons besoin de terre et de ciel, de soleil et de vent. Et d’abord peut-être besoin d’eau.»

Ainsi situé, le débat, le Grand débat peut s’ouvrir. Nous donnons d’abord la parole aux deux co-présidents de la commission chargée de l’organiser. Philippe Audic, par ailleurs président du Conseil du développement, rappelle les préconisations que ce dernier a formulées et qui ont été en partie – mais en partie seulement – retenues. Plus largement, il appelle à la conclusion d’un «
nouveau pacte» entre Nantes et la Loire dont l’ampleur dépasse la simple question d’un nouveau franchissement. Martine Staebler, qui a dirigé naguère le Groupement d’intérêt public Loire Estuaire, définit un bien beau programme: pouvoir demain, ou après-demain, se rebaigner dans la Loire…

Aujourd’hui préfet délégué à Marseille, Laurent Théry, grand prix national de l’urbanisme et ancien aménageur de l’Île de Nantes, nous fait profiter à la fois de son expérience et de sa distance. Oui, l’Île de Nantes a changé le regard porté sur le fleuve. Mais on n’a sans doute pas assez compris qu’elle n’était qu’une pièce d’un projet plus vaste, à l’échelle de l’estuaire. Et le futur franchissement
? «Le plus simple est de construire un pont entre le Bas-Chantenay et Rezé.»

En effet, pendant le débat, les études sur les scénarios de franchissements se poursuivent, nous rappelle Gabriel Vitré, le secrétaire général du Conseil de développement. Il décrit les possibilités et signale l’urgence d’une décision vu les délais de construction
: huit ans pour un pont, dix pour un tunnel.

La sociologue Amélie Nicolas met au jour une question un peu occultée
: peut-on concilier le port et la ville? Le citadin qui jouit du fleuve et le travailleur du port? Le Grand débat aura tout intérêt à bien prendre en compte ce conflit d’usages et les élus à arbitrer dans la clarté en pleine connaissance de cause.

Goulven Boudic, en spécialiste de la science politique, analyse les enjeux de pouvoir à l’œuvre dans ce Grand débat. C’est l’occasion, selon lui, pour Johanna Rolland, nouveau maire de Nantes et nouvelle présidente de Nantes Métropole, d’asseoir son leadership politique. En acceptant une forme inédite de concertation, mais surtout en lançant un vaste projet qui conduit de la gare au pont de Cheviré. À nouveau maire, nouveau projet urbain
!

Pour conclure, Laurent Devisme nous propose en images des utopies qui ont pour mérite de décaler le regard. C’était déjà l’intérêt de l’étude conduite en 1992 par Dominique Perrault et François Grether, puis, sept ans plus tard, par les projets en lice lors du marché de définition remporté par l’équipe d’Alexandre Chemetoff. Il n’est pas inutile d’y jeter rétrospectivement un œil. Utopies modestes dessinées par des étudiants de l’École d’architecture attentifs aux usages quotidiens du fleuve. Utopies grandioses échafaudés par d’autres étudiants, sensibles à la singularité de l’estuaire. Elles n’ont pas pour objet de déboucher sur des applications immédiates, mais de faire rêver à des futurs hypothétiques. En cela, ces rêveries de Loire ont toute leur place dans le Grand débat.

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