novembre-décembre 2013

Stacks Image 11968
Bookmark and Share

etoile_anim

édito
Municipales : les vrais enjeux
La campagne et les candidats ; les véritables lieux de pouvoir ; l’efficacité des politiques municipales. Trois manières de comprendre le rendez-vous de mars 2014.
Qu’une revue consacrée aux questions urbaines s’intéresse aux élections municipales a tout d’une évidence. Mais Place Publique devait le faire à sa manière. Sous l’écume des mots et des choses, des déclarations et des candidatures, tenter de discerner les courants profonds, s’efforcer de repérer les véritables enjeux de ce scrutin.

D’où ce dossier organisé en trois séquences. D’abord, la campagne et les candidats. Ensuite, la question du pouvoir : se trouve-t-il toujours dans les mairies ? Enfin, une interrogation sur l’efficacité des politiques municipales.

En livrant six clés pour comprendre ces élections, Thierry Guidet passe en revue les stratégies des uns et des autres, mais insiste surtout sur deux points : 2014 est un tournant marqué par une relève générationnelle inédite depuis 1977 ; plus que des transferts de voix d’un camp à un autre, les résultats dépendront d’abord de cette toute simple décision des électeurs : voter ou s’abstenir.
Cartes à l’appui, l’historien brestois Christian Bougeard revient sur chacun des scrutins municipaux dans l’Ouest depuis 1977. En toile de fond, une progression d’ensemble de la gauche, notamment du Parti socialiste, qui marque la transformation d’une région globalement conservatrice en terre durablement de gauche. Ce qui n’empêche pas de nombreuses péripéties locales, parfois surprenantes.
Un autre historien, le Nantais Jean Guiffan, montre qu’enjeux locaux et nationaux sont inextricablement liés. Les municipales sont souvent l’occasion d’un vote sanction du gouvernement en place. Mais cette règle connaît bien des exceptions… Histoire toujours avec un texte subtil de Didier Guyvarc’h qui décrit comment les candidats se singularisent : au moins autant par des signes et des symboles que par des programmes et des bilans. Le choc des imaginaires prend d’autant plus d’importance que tend à se réduire l’écart entre les propositions des uns et des autres.

L’une des évolutions de ces dernières années est le transfert des compétences, des budgets et donc du pouvoir, des communes vers les intercommunalités. Paul Cloutour explique de manière très pédagogique comment la plupart de nos gestes quotidiens – rentrer sa poubelle ou prendre le tramway – ne relèvent plus des politiques municipales, mais intercommunales. À Saint-Nazaire, le budget de la Carene, la Communauté de communes, est désormais légèrement supérieur à celui de la ville ; celui de Nantes Métropole fait plus du double que celui de la ville-centre. Le politiste David Guéranger propose, lui, une tout autre lecture : les intercommunalités ne seraient que le symptôme de mutations profondes de notre vie politique marquée par la concentration des pouvoirs et l’opacité des décisions.
Un entretien avec Jean-Marie Tassëel, qui fut pendant vingt-cinq ans le directeur de cabinet de Joël Batteux à Saint-Nazaire, permet de jeter un peu de lumière sur ces puissants hommes – ou femmes – de l’ombre que sont les responsables des cabinets des maires. « Un assistant du chef d’orchestre, un conseiller artistique », résume-t-il joliment.
Méconnu aussi, le rôle de ces puissantes entreprises à qui les collectivités confient parfois la gestion de l’eau, des ordures ménagères et d’autres services publics. En soi, le politiste Goulven Boudic n’y trouve rien à redire : il arrive que la délégation de service public soit le meilleur système. Mais il arrive aussi qu’une relation asymétrique s’instaure entre les élus et ces entreprises. Ce qui pose d’évidents problèmes démocratiques.

Troisième moment de ce dossier : des regards croisés sur l’efficacité des politiques urbaines. Le politiste Gilles Pinson a consacré sa thèse à une comparaison entre Nantes, Marseille, Venise et Turin. Il en a tiré un livre important, Gouverner la ville par projet. Il actualise ses analyses de l’époque dans un texte vraiment très stimulant. Après un moment de repolitisation des enjeux municipaux au cours de la décennie 1970, les maires militants se sont transformés en « technotables ». Il faut dire qu’ils se sont retrouvés confrontés à des problèmes inédits : comment gérer des villes prises dans le tourbillon de la mondialisation ? Cela signifie-t-il qu’il n’existe plus de différences entre politiques municipales de gauche et de droite ? Pas si simple, répond Gilles Pinson. La plupart des innovations en matière de transports publics, de développement économique ou de culture sont venues de la gauche. Mais, ruse de l’histoire, elles ont été souvent reprises dans des villes gérées par la droite parce qu’elles concourent à leur attractivité.
Un autre spécialiste de science politique, Christian Le Bart, par ailleurs directeur de la Maison des sciences de l’homme en Bretagne, s’attarde sur la figure du maire, un élu qui reste populaire en dépit de la méfiance généralisée à l’égard de la classe politique. C’est que le maire a su rester proche de ses électeurs. Bien plus, il incarne sa ville ; l’attractivité de l’une entraîne la popularité de l’autre. Les citoyens sont à la fois fiers de l’un et de l’autre. Dès lors, la figure du maire transcende les clivages partisans. Un propos résumé dans une formule saisissante à propos de l’ancien maire de Rennes : « Edmond Hervé a fait le métro de même que le métro a fait Edmond Hervé. »
Restait, pour finir, à s’intéresser à trois exemples de politiques locales.
Le logement d’abord avec une contribution de l’urbaniste Jean-Michel Roux. Le marché du logement est un marché très particulier : son moteur principal est l’accumulation d’épargne par les couches aisées qui placent ainsi leur argent. C’est ainsi que se forment des bulles spéculatives. L’auteur encourage les élus locaux à mener des politiques innovantes tenant compte de la diversité des modes de vie et des situations familiales.
Longtemps professionnel des transports publics à Nantes, André Herbreteau insiste sur la nécessaire continuité. Voilà un tiers de siècle que les élus nantais ont mis au premier plan la question des déplacements urbains, de la réintroduction pionnière du tramway à la construction du périphérique. Il souhaite évidemment que la nouvelle génération d’élus montre la même obstination.
Enfin, le politiste grenoblois Guillaume Gourgues interroge les dispositifs de démocratie participative, si vantés et si nombreux dans les villes qu’on finit parfois par se demander à quoi et à qui ils servent. Il appelle à leur renouvellement pour qu’ils soient utiles au moins autant aux citoyens qu’aux élus. Ils seraient, en somme, une manifestation du « droit à la ville », comme on disait naguère.

« Nantes/Saint-Nazaire, place forte de l’imaginaire industriel ». Cette contribution ne figure pas dans le dossier consacré aux municipales, mais on souhaite que les candidats la lisent avec attention. Elle sonne comme une espèce de testament, celui de Yannick Guin qui fut, depuis 1989, un élu nantais important, et un authentique penseur politique, ce qui ne va pas toujours de pair. Aujourd’hui conseiller scientifique de Louis Gallois, le Commissaire général à l’investissement, il fait toute une série de propositions très concrètes pour susciter en Basse-Loire un véritable désir d’industrie. Elles s’appuient sur notre histoire, celle du mouvement ouvrier et des capitaines d’industrie. Elles s’enracinent dans notre présent, celui de l’Institut de recherche technologique Jules-Verne ou du Centre industriel de réalité virtuel d’Airbus, à Saint-Nazaire. Elles préparent notre avenir. n