juillet-août 2013

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édito
Des regards neufs par milliers
Fascination des panoramas, vertige des belvédères, vues d’en haut, Nantes et Saint-Nazaire ne sont vraiment plus les mêmes.
Il y a un an, pour la première édition du Voyage à Nantes, le sommet de la tour Bretagne était rouvert au public. Le Nid, un bar conçu par l’artiste Jean Jullien, offre un panorama unique sur la ville et ses environs. Depuis, des dizaines et des dizaines de milliers de Nantais et de visiteurs extérieurs se bousculent pour profiter de la vue. Ce dossier sur les villes vues d’en haut interroge, accompagne et prolonge ce formidable engouement.

Spécialiste des sciences de l’espace social, Laurent Devisme montre le caractère universel de ce désir d’embrasser la ville d’un seul regard, depuis un promontoire naturel ou une construction humaine. Il y a certes de la volonté de pouvoir et de mise à distance du vulgaire dans cette manière de prendre la ville de haut. Michel de Certeau a bien décrit cet écart et le malaise qu’il en a éprouvé, au sommet du World Trade Center. Mais ne succombons pas trop vite à la passion démocratique qui nous ferait préférer le dédale des rues parcourues à hauteur d’homme, avertit Laurent Devisme. Car la vue globale sur la ville est un préalable indispensable à sa compréhension et, finalement, à son partage.

L’historien Alain Croix raconte comment Nantes a été représentée au fil des siècles. D’abord depuis la Loire, porte d’entrée majeure dans la ville. Puis, à partir du milieu du 19e siècle, d’en haut, comme si l’artiste l’avait survolée en ballon. L’ouverture du Nid rend aujourd’hui ce point de vue accessible à tous et devrait modifier notre perception collective : du sommet de la tour que valent encore les frontières entre communes ?

Catherine Séron-Pierre, spécialiste d’architecture, décrit en technicienne la construction de la tour dans les années 1970. Elle attire l’attention sur le vieillissement qui, déjà, touche le seul immeuble de grande hauteur de Nantes.

Saint-Nazaire, elle, a son Building, un bâtiment achevé en 1954 et qui domine le port. Au dixième étage, y sont accueillis des auteurs du monde entier, invités en résidence par la Maison des écrivains et traducteurs étrangers. Les mouvements du port, les couleurs du ciel, l’ample respiration de l’estuaire, le vol des oiseaux de mer… Venus de Chine ou d’Amérique, poètes et romanciers portent un regard neuf sur leur ville d’accueil qui se déploie à leurs pieds. Élisabeth Biscay, de la Meet, nous a préparé une petite anthologie de ces visions depuis le Building. Le saviez-vous ? « L’eau est aujourd’hui couleur d’olivier obscur »…

Au fond, c’est à un exercice comparable de liberté de l’œil que nous avons convié deux dizaines de Nantais. Certains sont écrivains, d’autres urbanistes, architectes, géographes, journalistes, sociologues, d’autres encore lycéens – et c’est à eux qu’est promise la ville de demain. Tous entretiennent un rapport singulier avec leur ville, qu’il s’agisse de Jean Blaise, son metteur en scène, ou de son archiviste, l’historien de l’architecture Gilles Bienvenu. Ils déchiffrent, admirent, s’étonnent, ricanent, raisonnent. L’un se voit empereur du Japon quand l’autre se rêve à Shanghai. Certains se sentent tout petits, d’autres se prennent pour des géants.

Et comme dans une mosaïque, c’est l’addition de ces éclats de subjectivité qui finit, avec le recul, par donner un sens à cette contemplation rêveuse de la cité.
Encore plus haut ! Le Département a commandé, l’été dernier, une nouvelle campagne de photographie aérienne sur l’ensemble de son territoire. D’une précision inégalée, ces images sont d’ores et déjà consultables sur Internet. À partir de septembre, elles seront mises en rapport avec des collections plus anciennes. En avant-première, Olivier Chupin, de la direction de l’Observation et de la Prospective du Département nous donne à voir des vues aériennes de Nantes et de Saint-Nazaire en 2012 et en 1949, au sortir de la guerre. De quoi méditer sur la stabilité et sur l’impermanence.

Enfin, le peintre Philippe Cognée fait à nos lecteurs un très beau cadeau en créant une œuvre originale montrant la tour Bretagne comme saisie par l’œil d’un aigle. Usant de sa technique très particulière qui associe la photographie et la peinture à la cire, il nous dévoile une ville jamais vue, découverte à la verticale, recréée par l’art et l’affranchissement du regard.