janvier-février 2016

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Elections régionales :
des résultats en trompe-l’oeil

Résumé > Après les élections régionales de décembre, qui ont vu en Pays de la Loire la victoire, nette, de la liste de droite emmenée par Bruno Retailleau, le politiste Goulven Boudic livre son analyse, à la fois locale et nationale, du scrutin et de lendemains qui pourraient déchanter à moins d’un an et demi de la présidentielle. Il identifie quatre symptômes d’une crise toujours plus profonde de la politique.

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Goulven Boudic > Politiste

Il y a quelques années, face à la multiplication des affaires et scandales révélateurs d’un recours généralisé au dopage dans le peloton, plusieurs journaux et chaînes de télévision s’étaient posé la question de savoir s’il fallait continuer à diffuser le Tour de France. L’un d’entre eux, Libération, avait fait ce choix de continuer à écrire, tout en se refusant désormais de publier les classements.
Peut-être le commentateur politique doit-il finalement trouver là aujourd’hui une inspiration, un exemple, un modèle. Non pas
: «ne plus parler des élections», mais tenter d’en parler différemment, en se détachant de plus en plus de la seule question qui préoccupe traditionnellement (surtout les acteurs politiques), à savoir la question du résultat final, cet équivalent du classement général.
Il y a certes, là derrière, un risque bien identifié par la sociologie politique
: celui de la reconstruction d’un sens général du vote, celui de la dépossession par des commentateurs, dont la légitimité est mise en doute, du sens que chaque citoyen donne et confère à son bulletin – ou, de plus en plus à son absence de bulletin… Toutefois, il nous semble aujourd’hui urgent de courir ce risque. Pour ma part, j’incline d’autant plus à tenter l’expérience que je n’ai cessé, ici même, dans plusieurs chroniques électorales, depuis près de cinq ans, de mettre l’accent sur les symptômes de plus en plus évidents de la crise politique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Un second risque se profile, dont je pense qu’il faut aussi s’y exposer sans fausse prudence ou fausse pudeur
: celui de se faire le prophète inlassable de la catastrophe à venir, au prix du reproche de noircir le tableau et de contribuer par là-même à une culture de la désespérance politique. En la matière, pour avoir subi à plusieurs reprises ce reproche, on a aujourd’hui le sentiment que tirer les sonnettes d’alarme n’a en rien empêché un mouvement comme irrésistible d’attirance pour le pire.

Quatre symptômes de crise
En appeler une nouvelle fois au ressaisissement des élites politiques comme des citoyens n’a guère produit d’effet. Faut-il pour autant renoncer? Je ne le crois pas. Car nous percevons aussi et de plus en plus, le besoin d’engagement, de débat, de politique, d’audace que les appareils partisans classiques ne viennent pas prolonger. Qu’à cette demande de politique, les mêmes appareils n’opposent que des réponses partielles, des interprétations intéressées voire leur silence habituel et nous pouvons en être assurés: la prochaine étape nous surprendra une nouvelle fois dans une situation de plus en plus proche du chaos et du précipice vers lequel nous semblons attirés, comme anesthésiés par un goût morbide de la sidération.
«
L’étape du jour» permet d’identifier quatre symptômes de crise: l’abstention, la crise des deux grands partis de gouvernement, la poussée incontestable du Front national. De ce point de vue, sans toujours atteindre en Pays de la Loire des caractéristiques aussi paroxystiques que dans d’autres régions, tous ces symptômes sont aussi bien présents dans notre région à travers les résultats du premier tour. Ce sont ces différents aspects que nous évoquons ici, en formulant le vœu que ces analyses formulées au lendemain du second tour des régionales seront prolongées et que ce prolongement constituera la préoccupation sinon l’obsession de tous ceux qui prétendent exercer demain des responsabilités.


L’ABSTENTION

Il est de coutume de s’en préoccuper comme en passant, d’aborder rapidement la question pour mieux l’évacuer. Deux types d’explication sont généralement avancés. La première touche au type de scrutin lui-même. Les élections régionales souffriraient d’une mauvaise identification de leur fonction et de leurs enjeux par les citoyens. Il est vrai que toutes les enquêtes montrent la difficulté à identifier les compétences de l’institution régionale, et même parfois les difficultés à identifier les élus, y compris les présidents de région.
Le débat régional souffre en outre probablement de la situation même des Régions. On s’est peut-être un peu trop complu dans ce cadre d’une analyse rapide suggérant la montée en puissance du fait régional (souvent couplée à la montée en puissance du fait métropolitain). Or, il faut de ce point de vue avouer que la différence n’est pas évidente entre une «
région de gauche» et une «région de droite». Certes les régions ont vu leur personnel et certaines de leurs compétences largement augmentées depuis leur création au début des années 1980. Mais cette montée en puissance relève plus aujourd’hui de la gestion que de la capacité à innover politiquement, c’est-à-dire à faire de vrais choix alternatifs et éventuellement clivants.
La tête de liste socialiste en Région Nord-Pas de Calais-Picardie, Pierre de Saintignon, se tirait peut-être un peu une balle dans le pied en soulignant les faibles marges de manœuvre de la politique régionale, puisqu’il minorait finalement ainsi le risque que pouvait faire courir l’accession du FN au pouvoir régional. Il n’en avait pas moins le mérite de l’honnêteté
: selon le chiffrage de son programme, 90% des dépenses régionales étaient presque automatiquement affectées. La politique, au sens fort du terme de choix portés par une décision délibérée, ne portait donc que sur les 10% restants. Et ce, alors même que les conseils régionaux ne disposent que d’une autonomie fiscale très faible et que la tendance actuelle est plutôt à la diminution des dotations de l’État qui constituent l’essentiel de ses ressources. On avait déjà dit, en 2004 comme en 2010, l’exagération et les risques du discours porté par les socialistes, tendant à faire des Régions les boucliers qui auraient permis de protéger contre les excès alors dénoncés des politiques menées nationalement par Nicolas Sarkozy. On le redit aujourd’hui: les marges réelles des Régions sont faibles. Les élus le savent eux-mêmes très bien, qui souvent recherchent les marqueurs symboliques qui leur permettront de se distinguer.

L’illusion de la dernière réforme
territoriale
Dire cela, une nouvelle fois, c’est en définitive suggérer l’échec de la dernière réforme territoriale – en attendant la prochaine, puisque la réforme de la décentralisation est devenue une politique en elle-même. Outre l’effet déstabilisant et qui risque, de plus, de se révéler largement contre-productif à court et à moyen terme des regroupements et des fusions, la récente réforme des régions se sera fondée sur une illusion: laisser croire qu’une région puissante est une grande région… sur les seuls plans de son territoire et de sa démographie, sans que soit réellement abordée la question de leur persistante faiblesse budgétaire et de la limitation de leurs compétences réelles. Une seule donnée de ce point de vue: le budget de l’ensemble des régions françaises même redessinées équivaut au budget de la seule Catalogne.
On comprend mieux dès lors à quel point il est à la fois difficile pour les acteurs de convaincre du caractère essentiel de l’alternance, et partant de mobiliser les électeurs peu convaincus (et souvent à raison) du caractère signifiant des effets de telles alternances. De ce point de vue, les abstentionnistes font peut-être la preuve de «
l’expression de leur profonde lucidité», montrant leur scepticisme à l’égard des appels à une mobilisation, qu’ils jugent tout simplement disproportionnés. Les joutes et les politiques régionales ne méritent pas l’enthousiasme que l’on réclame de l’électeur. Dans ce cadre, on peut juger hors de propos certaines des propositions visant à instituer un vote obligatoire, procédure stigmatisante qui permet trop souvent d’éviter à ceux qui la formulent, sur un ton inévitablement martial, de se poser la question de l’offre politique.
La tentative de saisir de ce point de vue la donnée plus conjoncturelle des attentats du 13
novembre n’a pas mieux fonctionné. Ces événements tragiques ont pu jouer un rôle dans la quasi-disparition de l’agenda régional et d’une campagne électorale gelée alors qu’elle était à peine entamée. Mais il paraît un peu facile après-coup de leur attribuer la responsabilité d’une nationalisation qui trouve en fait largement son origine dans la structure même d’une impossible régionalisation des débats.


LA CRISE DE LA GAUCHE

Une tentation très nette de minimisation de la défaite de la gauche a vu le jour dès le premier tour. La sanction annoncée, a-t-on pu entendre ici ou là, n’était peut-être pas si terrible et pas si prononcée que ne le laissaient présager certaines enquêtes d’opinion. Et puis, a-t-on également entendu, les élections intermédiaires sont toujours délicates pour le pouvoir en place, «Jacques Chirac comme Nicolas Sarkozy en avaient fait l’expérience en leur temps».
Le récit d’une résistance plus forte que prévue de la gauche s’est d’autant plus facilement imposé, du côté des exécutifs présidentiel et gouvernemental, que la droite ne faisait de toute évidence pas le plein de ses voix au soir du premier tour. Mais, surtout, les scores des alliés traditionnels du Parti socialiste ne leur permettaient pas d’envisager d’imposer un autre récit
: celui d’une sanction «à gauche». Empêtrés dans leurs divisions et leurs conflits internes, dont ils ont fait un bruyant étalage depuis le début de l’été dernier, les écologistes n’ont pas été en mesure de récolter les fruits d’une offre alternative faite aux «déçus du hollandisme», pas plus d’ailleurs que le Front de gauche, agité par les querelles habituelles de la gauche de la gauche et par le silence de Jean-Luc Mélenchon, visiblement en froid avec son partenaire communiste. L’absence de crédibilité de cet autre récit, son impossibilité même, expliquent la rapidité avec laquelle les fusions et les accords se sont noués au soir du premier tour (particularisme breton mis à part…).

Ne pas aborder les questions
qui fâchent…
Mais ils en disent aussi long sur la capacité, dans la situation actuelle, à éviter d’aborder de front les questions qui fâchent. On le sait, on le devine, François Hollande envisage bien de se représenter en 2017. Et dans cette stratégie, les élections régionales telles qu’elles se sont déroulées peuvent apparaître comme le moyen idéal de conforter sa candidature. Elles lui permettent en effet d’envisager d’imposer l’idée d’une candidature unique de la gauche (la sienne en l’occurrence), seule perspective d’accéder au second tour de l’élection présidentielle, et d’éviter la réitération d’un 21avril 2002. En appeler ainsi à l’unité indispensable de la gauche, sur la base parallèle de la construction d’une candidature de plus en plus axée sur une approche sécuritaire de la situation issue des attentats du 13novembre, c’est aussi de toute évidence un moyen d’éviter d’ouvrir le débat sur le bilan actuel, notamment sur l’orientation des politiques économiques, fiscales et sociales.
Pressée de voir dans une sanction plus faible qu’annoncée une sorte de quitus pour l’action menée, et dans des résultats en apparence moins catastrophiques qu’annoncés, l’impératif d’une future candidature unique, la gauche courrait toutefois un grand danger, en évitant de dresser le bilan des politiques menées depuis 2012, dont on pourrait quand même penser qu’elles ne sont pas pour rien dans la crise actuelle. Il lui faudrait dès lors notamment revenir sur la réorientation brutale et trop peu justifiée des promesses de la campagne électorale, sur la timidité sinon l’abandon des réorientations européennes, sur l’échec, régulièrement confirmé, en dépit d’espoirs passagers, des politiques économiques, réorientées en faveur de l’offre plutôt que de la demande, sur l’illisibilité des choix de politique fiscale, etc. Car c’est là aussi l’origine de deux phénomènes dont on souhaiterait qu’ils ne passent pas si rapidement par pertes et profits, alors même qu’ils transparaissent de toute évidence dans les résultats régionaux
: le sentiment, tragique dans ses expressions, d’une équivalence entre droite et gauche dans le renoncement à la politique; la certitude d’une société progressivement gangrenée par la précarisation et le chômage, où le délitement du lien social accroît le risque de la séduction des discours xénophobes.


LA CRISE DE LA DROITE

«
Tous perdants», titrait fort justement en une le quotidien La Croix, au lendemain du second tour. Il faut y insister: la défaite de la gauche ne signe pas mécaniquement la victoire de la droite. Il ne s’agit pas ici, par pur confort intellectuel ou pure malignité, d’inverser la posture bien connue de l’ancien animateur de l’émission L’École des fans, mais de constater que, de ces élections régionales, la droite ne sort peut-être pas en si grande forme. La tentation existe aussi en son sein, pourtant, de se satisfaire un peu rapidement de quelques résultats sélectionnés. Écrivant cela, on sait aussi le risque que l’on court de n’être pas plus entendu de ce côté de l’échiquier politique que de l’autre. Et pourtant: les scores du premier tour, dans de nombreuses régions ont été largement inférieurs, non pas tant ici aux prévisions sondagières, qu’aux scores enregistrés par la droite en des occasions récentes.
Par comparaison avec les précédentes élections régionales, le constat d’une érosion de l’électorat traditionnel de la droite parlementaire au soir du premier tour est indéniable. Certes, le second tour a fait apparaître une remobilisation des abstentionnistes du premier tour, dont la droite a de toute évidence incontestablement profité. Les hausses de participation ont ainsi été significativement plus fortes dans les départements de la région où elle est traditionnellement bien ancrée, et la corrélation est évidente entre le surcroît de participation et le score finalement obtenu par la liste menée par Bruno Retailleau. Inversement, alors que le département est acquis à la gauche et qu’elle en a fait une place forte, la participation a moins progressé en Loire-Atlantique. Mais si la dynamique de l’entre-deux-tours a bénéficié en Pays de la Loire à Bruno Retailleau, et à la droite en général dans de nombreuses autres régions, il lui faudra revenir et s’interroger sur ce désamour de premier tour qui risquerait, s’il était répété dans le cadre d’une élection présidentielle, de lui coûter cher. Et il faut ici rappeler, sans rien nier de sa victoire finale, que Bruno Retailleau aura obtenu au final moins de voix dans cette élection qu’un certain François Fillon en 2004, alors même que ce dernier était alors largement défait par Jacques Auxiette.

La primaire et le risque d’atomisation
La victoire en demi-teinte de la droite n’a pas non plus permis de donner des réponses définitives sur des questions qui l’agitent depuis plusieurs années. La stratégie du ni-ni («ni Front national, ni Parti socialiste», ou le refus en d’autres termes de jouer le front républicain contre le Front national) a été contestée. Pire, en le refusant, parfois au prix de formules qui ont suscité la gêne ou l’hostilité au sein même de son parti ou chez ses alliés centristes («Voter Front national et voter socialiste, c’est la même chose»), Nicolas Sarkozy a dû se contenter de constater l’efficacité du retrait organisé par les socialistes, au profit de Xavier Bertrand dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie ou de Christian Estrosi en Provence-Alpes-Côte-d’azur, se privant par là-même du bénéfice exclusif de ces victoires. Nul doute, à l’heure où ces lignes seront lues, que les débats internes tant sur la stratégie que sur la «ligne idéologique» qui doit l’accompagner auront très vite été relancés. C’est que derrière ces enjeux se profile là encore l’enjeu présidentiel. Et si, à gauche, François Hollande dispose d’un avantage politique lié à la fonction présidentielle (certes fragile), l’avantage positionnel de Nicolas Sarkozy apparaît plus fragile encore. En concédant l’organisation de primaires ouvertes, il laisse grande ouverte la question du leadership et de la candidature présidentielle.
La primaire
: c’est autour de son organisation comme de son calendrier que vont se focaliser désormais les débats, au risque de fragiliser la candidature de celui qui en sortira vainqueur. De ce point de vue, tant les faiblesses des forces militantes mobilisables que le caractère inédit de l’exercice, pour la droite républicaine, sont des points indéniables de fragilisation supplémentaire et d’une fragmentation toujours menaçante.


LA CRISE ET LE FRONT NATIONAL

Le Front national n’est pas en crise. Il est dans cette élection régionale en trompe-l’œil le véritable vainqueur, même si le second tour confirme les limites de ses progrès sur le plan de leur traduction institutionnelle. Car progrès il y a, incontestablement, au-delà de l’impression laissée par l’échec de la conquête des régions où il était arrivé largement en tête au premier tour. À se focaliser sur ce point, comme à se contenter des pourcentages, on peut être tenté de se féliciter. Ce serait un tort
: avec une participation en hausse sensible, le Front national a gagné des voix dans l’entre-deux-tours, confirmant qu’il a encore une marge de progression et qu’il peut encore convaincre des électeurs de plus en plus nombreux.
Mais s’il n’est pas lui-même en crise, le vote Front national est bien un symptôme de la crise plus générale que nous tentons de décrire. On a vu resurgir lors de cette élection bien des questions qui agitent l’analyse politique de ce parti et de ce vote. Entre stigmatisation morale du vote FN et compréhension à peine voilée d’un vote rapporté à ses seules conditions sociologiques de production, entre validation du propre discours des dirigeants frontistes sur la «
dédiabolisation» et condamnation de cette banalisation d’un parti qui resterait un parti à part, tout et son contraire a été dit ces dernières semaines.
Il importe ici de répéter que le Front national n’est pas un parti comme les autres et que le vote Front national n’est pas, par conséquent, un vote comme les autres. Comme le montrent de nombreux exemples, les dérapages xénophobes sont monnaie courante chez les candidats frontistes et leurs soutiens. Son ancrage dans la tradition de l’extrême-droite française n’est pas contestable, comme le montre le parcours militant de sa tête de liste dans notre région, formée dans les rangs d’Ordre nouveau et du Parti des forces nouvelles, deux mouvements emblématiques de l’extrême-droite française des années 1970. Quiconque prendra un instant la peine de fréquenter les réseaux sociaux ne pourra être qu’effrayé par la facilité avec laquelle on tombe rapidement sur des arguments, des expressions qui relèvent souvent de la loi pénale et, à tout le moins, contreviennent au respect des valeurs républicaines.

«L’étranger», ciment de l’électorat FN
Les enquêtes sorties des urnes confirment de ce point de vue ce que Nonna Mayer a amplement démontré tout au long de son travail de longue haleine sur cette formation: la désignation de l’étranger comme bouc émissaire et responsable désigné de tous les problèmes constitue à la fois le ciment d’une grande partie de cet électorat et, sous une forme presque obsessionnelle, le prisme à travers lequel se construit l’adhésion au discours frontiste. Peu importe en l’occurrence ici la figure exacte de cet étranger: l’immigré installé de longue date, le «jeune (français) d’origine étrangère», le plus souvent maghrébine, le migrant syrien ou afghan. Le trait essentiel, c’est la détestation croissante de celui pour qui l’on en ferait toujours trop, au détriment des vrais Français…
L’idée de la préférence nationale, la xénophobie indéniable et de moins en moins masquée d’une part de l’électorat nous renvoient à nos responsabilités collectives. Pour avoir dénoncé en leur temps les dérives du sinistre débat sur l’identité nationale, je pense qu’il est temps de renvoyer ces comportements et ces propos dans le registre de la honte et de l’inacceptable. Dans le partage des torts entre stigmatisation et dénonciation de la «
diabolisation anti-raciste», je persiste pour ma part à penser que c’est précisément la banalisation de ces idées qui fait le lit de l’extrême-droite, et qui rend d’autant plus urgente la reprise et l’actualisation de la lutte contre le racisme. De ce point de vue, la droite comme la gauche doivent être rappelées à leur responsabilité: la droite, pour avoir trop souvent cautionné, toléré ou accompagné certaines de ces dérives; la gauche, pour s’être servie du Front national aux fins de nuire à la droite. De ce point de vue, il est difficile de ne pas établir de continuité entre François Mitterrand et François Hollande…
Nul, ni à gauche, ni à droite, n’a de gain réel à escompter d’une quelconque complaisance à l’égard du Front national
: sur ce point toutefois, les élections régionales n’auront pas toujours permis la clarification nécessaire. Car si la stratégie de front républicain a concrètement bien fonctionné, là où elle a été appliquée par le retrait des listes socialistes susceptibles de se maintenir au second tour, le maintien de la liste de Jean-Pierre Masseret en Alsace-Champagne-Ardennes n’a pas produit la victoire crainte du Front national… quand, en outre, Laurent Wauquiez, héraut d’une droitisation radicale du discours, sort lui aussi en tête du scrutin en Rhône-Alpes-Auvergne. En bref, aucune stratégie n’a à elle seule triomphé: les élections régionales permettent à chacun de continuer à défendre sa ligne politique et stratégique, ce qui n’est pas pour rien dans la difficulté que proposent leur interprétation et leur usage dans les débats futurs.

Rendez-vous en 2017
En définitive, les élections régionales, malgré leur statut secondaire et le faible intérêt citoyen, apparaîtront rétrospectivement comme un moment essentiel, comme un tournant. On le sent bien intuitivement, même si la conscience exacte nous en manque peut-être et surtout les mots pour le dire. Elles sont en effet le dernier scrutin avant l’élection présidentielle, seule élection vraiment centrale désormais, dont découlent largement les autres. Leur interprétation revêt dès lors une importance d’autant plus cruciale qu’elles vont conditionner largement les stratégies à venir.
Pour François Hollande et les stratèges élyséens, nul doute que l’apparente résistance de la gauche, traduite par la conservation d’un nombre de régions quasi-égal à celui des régions gagnées par la droite, renforcera l’hypothèse d’une nouvelle candidature. Faute de résultats escomptables sur le front de l’emploi, la tentation sécuritaire semble se dégager de plus en plus comme l’un des axes d’une candidature future.
Pour Nicolas Sarkozy, plus dure sera la sortie de cette séquence, du fait de la concurrence inévitable liée aux primaires, et du fait aussi d’un potentiel désaccord, à droite, autour des leçons à tirer de ce scrutin régional.
Pour Marine Le Pen en revanche, l’accès au second tour semble assuré au vu des scores obtenus lors de toutes les élections depuis 2012.
Les élections régionales considérées dans leur intégralité peuvent toutefois être interprétées tout à fait différemment. Il ne nous paraît pas outrancier de suggérer qu’au soir du premier tour, les électeurs ont signifié, tant à gauche qu’à droite, une forme de rejet de l’hypothèse d’une réédition du duel de 2012 entre François Hollande et Nicolas Sarkozy. Et qu’au deuxième tour, ils ont également très largement dit leur rejet de Marine Le Pen et du Front national.
Évidemment, aucun de ces trois acteurs ne semble disposer à accepter une telle lecture. Chacun d’entre eux dispose, au moins en théorie, d’un avantage qui le place dans la position de prétendre représenter son camp
: François Hollande, parce qu’il est le président sortant et que le système des pouvoirs de la VeRépublique le met potentiellement à l’abri des critiques de son propre parti, dont on voit mal comment il pourrait à l’heure actuelle prendre la tête d’une quelconque fronde; Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, parce qu’ils sont tous deux directement chefs de parti.
Les semaines qui viennent diront si ce scénario est inéluctable. Après tout, il n’est pas interdit d’espérer…

GOULVEN BOUDIC enseigne la science politique à l’université de Nantes. Il est membre du comité de rédaction de Place publique.