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Place publique # 61

PATRIMOINE
PRÈS DE 30 KILOMÈTRES D’ARCHIVES DIPLOMATIQUES CONSERVÉES


À Nantes, la mémoire des ambassades

PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN CROIX ET FRANCK RENAUD

CONTEXTE >Ville où plusieurs services du ministère des Affaires étrangères sont décentralisés, Nantes est aussi, avec La Courneuve, un des deux sites où les archives du Quai d’Orsay sont désormais conservées. Ouvert en 1966, d’abord utilisé comme lieu de stockage, le centre situé dans le quartier de Doulon accueille le public depuis trente ans, riche en particulier des archives coloniales. Place publique publie une première série de photographies tirées de ces archives nantaises et souvent méconnues. Plusieurs autres séries seront proposées dans nos prochains numéros.

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La salle de lecture du centre des archives diplomatiques : beaucoup de lecteurs étrangers la fréquentent.

PLACE PUBLIQUE > Nantes accueille plusieurs services décentralisés du ministère des Affaires étrangères. Comment les archives diplomatiques sont-elles arrivées ici ?
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > Pour les archives, c’est tout d’abord un problème de place, comme il en arrive très souvent dans les services d’archives, qui a amené la direction du service du ministère des Affaires étrangères à se préoccuper de trouver un autre lieu. Les locaux du Quai d’Orsay étaient saturés, une annexe également, d’autant qu’on était en pleine période de la décolonisation, avec donc des rapatriements d’archives à prévoir, plus différents événements politiques qui ont nécessité de rapatrier des fonds importants, comme en Chine ou en Indochine par exemple. Dès 1959, un lieu est recherché, avec une première orientation en région parisienne, en l’occurrence le château de La Celle Saint-Cloud, puis un autre château en Seine-Maritime.
C’est finalement la décision d’implanter d’autres services du ministère ici qui a fait qu’on s’est orienté vers Nantes. On est en 1964, avec l’installation du service central de l’état-civil des Français nés à l’étranger. Les terrains mis à disposition du ministère dans le quartier du Breil sont déjà occupés, il faut trouver un autre lieu. Le ministère est orienté vers ce site, le parc à fourrage, qui était occupé par la gendamerie et dont le bâtiment nous a été attribué en 1966, avec une arrivée des premiers fonds d’archives l’année suivante. Un autre site avait été envisagé, sur l’île Beaulieu, mais pas considéré comme propice. Nous avons cohabité avec la gendarmerie jusqu’en 1988, quasiment jusqu’à l’ouverture du site au public. Les locaux étaient partagés, même si les archives ont « grignoté » petit à petit l’ensemble du bâtiment sur ses quatre niveaux.

PLACE PUBLIQUE > Quels sont les premiers fonds à arriver à Nantes en 1967 ?
ÉRIC LECHEVALLIER > Les fonds qui arrivent les premiers sont des fonds plutôt administratifs du Quai d’Orsay, donc récents. Nous sommes de fait dans une opération de délestage. L’autre gros ensemble est composé des archives rapatriées de nos postes diplomatiques en Chine quand ils ont été fermés en 1952 après la prise du pouvoir par les communistes et les archives des protectorats en Tunisie et au Maroc, qui arrivent au tout début des années 1970. La Syrie et le Liban sont transférés un peu plus tard.
Une politique de rapatriement plus massive des archives des ambassades et consulats s’est mise en place après-guerre : on se préoccupe beaucoup plus de la gestion des archives dans les postes qu’auparavant, d’autant que nous avons connu mal de pertes du fait de la Seconde Guerre et d’autres conflits. Des pertes également dues aux destructions effectuées en urgence au Quai d’Orsay en mai 1940 avant l’arrivée des Allemands. On a alors saisi l’intérêt particulier des archives des postes diplomatiques pour compenser les destructions faites sur les archives du Quai d’Orsay. Il s’agit en quelque sorte d’une collection de sécurité. D’où cette idée de compenser et de sécuriser les collections parisiennes et donc de ne pas les avoir sur le même site.


PLACE PUBLIQUE > Le centre de Nantes a pu souffrir d’avoir la réputation de ne pas disposer d’archives intéressantes...
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > Il y a surtout le fait de ce qui était communicable au public ou ce qui ne l’était pas. À l’époque, quand le centre ouvre, nous étions avant la loi de 1979 sur les archives et donc ce qui était communicable était antérieur à la Première Guerre mondiale. Du coup, toutes ces archives rapatriées sont pour beaucoup d’entre elles ou des archives administratives du ministère ou plus récentes. L’intérêt joue peut-être aussi, mais c’est d’abord une question de communicabilité.
ÉRIC LECHEVALLIER > Le choix est fait de laisser à Paris les documents antérieurs à 1914, primo parce qu’ils sont consultables par le public et que Nantes n’est pas de prime abord conçu comme un lieu de consultation des archives. Ce qui va être conservé à Paris et postérieur à 1914, ce sont aussi les archives politiques : sans doute pour le besoin des diplomates, mais aussi parce que les commissions d’historiens travaillent sur les archives diplomatiques.
Pour les documents qui vont venir à Nantes, c’est d’abord très clairement une question d’espace, mais il y aussi des archives d’un certain nombre de postes qui peuvent être anciennes, comme la Chine qui commence dans les années 1840, et qui présentent un intérêt historique certain. À l’époque, ces archives n’ont pas été suffisamment travaillées pour les connaître, même si la direction du service réclame à cor et à cri l’affectation de personnels de métier, de conservateurs d’archives, à Nantes. L’administration du ministère ne donne pas suite, le suivi est donc assuré depuis Paris avec des mission régulières et une seule personne sur place, un agent administratif à partir de 1972 qui reste jusqu’en 1986 et qui règnera à la fin sur 12 kilomètres d’archives ! On est plus au début dans une logique de stockage raisonné et clairement pas d’ouverture au public puisque la grande majorité des documents ne sont pas communicables en fonction des dispositions de l’époque beaucoup plus restrictives que celles introduites avec la loi de 1979. Grosso modo, tout ce qui a moins de cinquante ans est totalement réservé.

PLACE PUBLIQUE > Que se passe-t-il après ces premières années de stockage ?
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > La deuxième étape, c’est vraiment les années 1980. D’abord, sur les archives conservées à Nantes, quelques-unes sont communiquées, mais quand elles le sont, c’est à Paris. C’est-à-dire qu’on prend les cartons ici et on les envoie à Paris pour qu’ils soient placés en salle de lecture. L’université de Nantes joue un rôle important en s’offusquant du fait que ses chercheurs sont du coup obligés de se rendre à Paris pour consulter des archives conservées à Nantes. La Ville et le Département suivent le mouvement et en 1986 est prise la décision d’ouvrir la salle de lecture, qui sera effective fin 1987 et attirera dès le départ des lecteurs étrangers. Les deux collectivités mettent à disposition un agent à mi-temps pour commencer à étoffer l’équipe. Puis un conservateur vient s’installer à Nantes en 1986. Dernier élément, la loi de 1979 qui fait que ces archives sont librement communicables après un délai de trente ans, soixante ans pour les plus sensibles. Ce qui, bien sûr, les rend plus accessibles aux chercheurs.

PLACE PUBLIQUE > Quel volume d’archives est conservé à Nantes ?
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > En 1986, nous étions à environ 12 kilomètres de rayonnage, ce qui est déjà un bel ensemble. Nous en sommes maintenant à pratiquement 30 kilomètres.
ÉRIC LECHEVALLIER > Dès le début de l’ouverture de la salle de lecture, nous avons connu une très forte demande sur les fonds marocains et tunisiens. Une des spécificités qui se confirme de nos jours.

PLACE PUBLIQUE > Quel parcours suivent les cartons d’archives ?
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > Ils quittent le poste diplomatique par bateau, par camion ou par avion, nous avons tous les cas de figure. S’ils transitent par le service de la valise diplomatique à Paris, ils sont ensuite transportés jusque chez nous. Un travail en amont est effectué dans les postes diplomatiques avec des agents qui classent et enregistrent les archives au jour le jour et préparent des versements, c’est-à-dire un ensemble chronologique sur une dizaine d’années. Ils préparent un état de versement qui est soumis à des référents qui vérifient que tout est conforme et c’est ensuite que le processus de transport est engagé.

PLACE PUBLIQUE > Quelle particularité à souligner dans ces fonds nantais ?
ÉRIC LECHEVALLIER > Le fonds Jacques Belin, qui compte environ 100 000 clichés et couvre la période de 1940 à 1960. Il était le photographe quasi officiel de la résidence générale de France au Maroc et ensuite de l’ambassade de France. La Tunisie est également importante, mais compte beaucoup moins de photos.
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > La difficulté, c’est que beaucoup de documents comme des affiches ou photographies sont encore dans les cartons, dans des dossiers. C’est le cas avec les visites officielles, les invitations, les programmes, des enveloppes de photos…

PLACE PUBLIQUE > Le centre a la volonté d’ouvrir les collections sur la ville. Comment vous y prenez-vous ?
AGNÈS CHABLAT-BEYLOT > Depuis trois ans, l’ouverture passe par différents biais : le rendez-vous annuel avec le public reste les Journées du patrimoine, nous avons aussi mis en place un rendez-vous mensuel ouvert au public qui nous permet de réunir de 15 à 20 personnes. Un partenariat avec l’espace Cosmopolis à Nantes a été engagé à l’occasion de l’exposition sur Agadir en 2015 et prolongé avec une participation aux temps forts de l’exposition sur les migrations : prêt de documents, lectures d’archives sur l’évacuation de Bilbao qui ont réuni une centaine de personnes sur les deux séances. Nous avons aussi lancé depuis un plus de deux ans un service pédagogique, avec un travail fait avec des professeurs.

Le rêve colonial (extrait)
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D’abord, toute la qualité documentaire des archives du ministère des Affaires étrangères : en principe, chaque photographie est datée, légendée, parfois accompagnée de quelques notes complémentaires prises à la main…
Et puis bien sûr, la mise en scène pour l’arrivée de Lyautey : il ne s’agit évidemment pas de l’arrivée d’un simple diplomate étranger !
La légende de la photographie montre aussi une réelle connaissance des lieux, même si elle est un peu approximative : la porte s’appelle en réalité Bab Sbaa ou plutôt Bab el-Sebâa, la porte du Lion. Elle permet depuis 1866 l’entrée dans la medina, aujourd’hui classée par l’Unesco dans son répertoire du patrimoine mondial.

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